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- Le Portugal est un pays que j'aime beaucoup. J'ai passé trois fois du bon temps en Algarve, deux fois, à Madère et deux fois en 1980 et en 2014, comme un pèlerinage, dans la région de Lisbonne. Revenir dans une région permet de constater les différences dans le temps. Plus les occurrences sont éloignées, plus cela devient intéressant. Beaucoup d'eau sous les ponts devait avoir coulé depuis ma première visite à Lisbonne. Des articles alarmants sur la situation du Portugal m'ont hérissé quelques poils sur la peau. On parlait de dérapages non contrôlés, par exemple.- Donc, vous aimez le pays et sa capitale.
- Oui. Je suis un citadin, ce qui veut dire que je connais les avantages et les inconvénients que peut apporter une ville. Lisbonne dans son l'histoire est un Babel qui a vécu des hauts fulgurants et des bas écrasants pour les populations. Ce n'est pour rien que la nostalgie fait partie de son humeur. Avant le tremblement de terre suivi d'un tsunami en 1755, Lisbonne voyait arriver des cargaisons de richesses, avec des hommes de couleurs souvent traités en esclaves dans l'ombre de la prostitution et de la mendicité. Ce n'est que cinquante ans après ce cataclysme naturel, que sous l'impulsion du marquis de Pombal, la ville renaissait de ses cendres avec le goût du siècle des Lumières. Elle redevenait une ville d'affaires et de religion catholique. Lisbonne se découvre souvent précédée par une grande rumeur selon l'humeur du jour de son visiteur. Elle ne s'offre qu'aux promeneurs patients et pas du haut du château Saint George qui donne une beau paysage pour la photo du touriste mais où rien ne transparaît des réalités de tous les jours. Construite en amphithéâtre, le bas de Lisbonne, le quartier de Baixa, avait été restauré par l'esprit de ce marquis célèbre avec des rues à angles droits et le haut, le Baioro Alto de l'Alfama, mieux conservé, a toujours gardé son dédale de petites rues étroites, de petits métiers, de marchands de primeurs, de poissonnières. Mon héroïne vivait dans l'Alfama, mais avait suivi des cours en 2001, dans le nouveau Lisbonne et avait continué à y vivre pour exercer ses connaissances de laborantine en retournant dans le bas de la ville.
- Vous avez appris un peu d'histoire du Portugal pour en connaître ses spécificités.
- En effet, à l'occasion de mon premier séjour, j'ai fait mieux en étudiant son histoire dans le détail. J'en connaissais la suite de rois successifs. Mais j'ai un perdu quelques bouts de cette longue histoire pour ne retenir que ce qui avait trait avec les besoins du moment de mon dernier voyage. Mon livre est presque en pleine actualité, je n'avais pas à remonter très haut dans temps. Il commence le 1er jour de 2014.
- Pourquoi la ville continue à vous intéresser?
- Comme je le disais, l'hymne nationale du Portugal reste le fado qui chante la mélancolie et le saudade, l'exil. Quand on la mer pour unique terrain vague, comme le chantait Jacques Brel, pour seul recours en cas de malheur et qu'on est révolutionnaire par la destinée, en chantant la vie, si dure qu'on puisse la vivre, on finit toujours par oublier ses peines. "Ce sont les petites nations qui se risquent davantage. Elles se jettent à l'eau avec leur peu d'atouts et leurs grandes ambitions", ai-je lu quelque part à ce sujet. Nous sommes bien loin de l'époque de l'ère des découvertes, de Henri le Navigateur, de Vasco de Gama, de Zarco, de Cabral. L'art manuelin et les azulejos que l'on retrouve à chaque coin de rue, rappellent le patrimoine historique.
- Puisque nous sommes dans l'actualité, dans le Portugal d'aujourd'hui, qu'est-il advenu selon vous pendant cette dernière décennie?
- Que l'exil a continué. 250 millions de personnes parlent le portugais dans le monde dans une véritable diaspora. Depuis 2010, 100.000 jeunes poussés par la crise, reprennent les voiles chaque année, alors que les expatriés ne rêvent que de rentrer au pays. Le film de Ruben Alvez, "La Cage dorée" et le livre du Prix Nobel, José Saramego "Le Radeau de pierre" imaginent le Portugal à la dérive dans l'Atlantique. Ce n'est pas peu dire. Vous n'êtes pas sans savoir que l'ancien Premier ministre José Socrates a été mis en examen pour fraude fiscale, corruption et blanchiment d'argent. Il a gouverné le pays entre 2005 et 2011.
- En effet. Mais, Lisbonne a gardé du charme puisque les touristes y retournent chaque année.
- Bien sûr. Un charme un peu désuet, qui plait toujours aux touristes. Mais, la moyenne d'âge de la population lisboète a vieilli avec les maisons qui les habitent. Beaucoup de jeunes sont partis voir ailleurs si l'herbe n'y est pas plus verte, avec l'espoir un jour d'y revenir. Il faudrait dix fois le budget national pour tout restaurer dans la ville d'après ce que j'ai lu récemment. Le Portugal qui avait attiré Manu, mon ancienne héroïne, il y avait près de treize ans, a perdu quelques plumes sur l'autel des banques. Le pays se retrouvait comme un navire sur l'océan européen qui tanguait dangereusement. Navire qui a pris l'eau dans un régime d'austérité. Un projet comme l'exposition de 1998 n'est plus au programme. La crise a entraîné 500.000 pertes d'emplois, a réduit les salaires de 12%. Les loyers gelés ont entravé la marche normale de la maintenance des habitations. Alors, dans un climat de morosité, on pare au plus pressé avec une inventivité retrouvée uniquement par nécessité. Pour sauver le patrimoine architectural, pour que les touristes les plus fortunés occupent à nouveaux les hôtels de luxe, on brade les prix. Le Mondial de foot de 2014 a mis le profil bas au Portugal, bien que Ronaldo est toujours classé numéro un. L'autre pays de langue portugaise, le Brésil n'est plus que l'ombre de lui-même, alors que les immenses investissements consentis n'ont eu que le revers de la médaille et les pays étrangers comme bénéficiaires. Heureusement, pour le Lisboète, il y a cette saudade qui charrie l'amour et la mort. Dans son cortège en l'honneur de Nossa Senhora da Saüde, l'Atlantique qui se gonfle d'écumes attire les surfeurs, l'éolien marin, les gisements de pétrole et de gaz qui font rêver et font, comme vous dites, que les touristes, mais aussi les investisseurs, reviennent. Espérons qu'ils remplissent les palaces qui restent désespéramment vides en dehors des belles saisons. Le Portugal continental n'a pas la douceur de Madère.
- Tout cela nous écarte peut-être de votre livre.
- Non, cela l'explique. Il n'y a plus de secrets comme dans le Fauteuil blanc. Ce roman est à nouveau une pure fiction avec des personnages fictifs, mais, contrairement à l'histoire précédente, nous sommes, à un an près, en pleine actualité. Il ne s'agit pas d'un conte, mais du reflet de ce que vivent les Portugais. Si on entend un peu moins de nouvelles que celles en provenance de la Grèce, c'est grâce à la retenue de la population portugaise. L'héroïne, Luiza, vit à Lisbonne, depuis les premières années de ce siècle, où elle y a suivi ses cours de laborantine. Ce 1er janvier 2014. Elle a 32 ans quand mon histoire commence. 32 ans, l'âge de la raison et parfois, de la déraison et des questions. Elle ne se sent pas bien dans sa peau. Elle a réussi ses études et, malgré cela, se retrouve emportée dans la tourmente. Situation banale, peut-être, puisque c'est un sentiment très courant dans l'Europe entière. Mais, tout dépend de la psychologie de sa maîtresse. Encore une fois, je publierai au rythme de deux chapitres par semaine l'écriture de cette nouvelle.
- Une histoire liée à la pauvreté des gens?
- Non. Une histoire liée à une rencontre avec quelqu'un de très différent de Luiza, une des héroïne du roman précédent, qui a déjà beaucoup vécu, qui s'est lancé dans la génétique, qui a réussi et eu des échecs avant cela. Sans lui, sans cette rencontre, Luiza qui n'a pas la fougue de sa demi-sœur, aurait peut-être sombré. Il a été le catalyseur du changement qui va s'opérer en elle. Un peu inspiré par le téléfilm gentillet "Tombé sur la tête" qui mettait en scène un homme d'affaires prétentieux et une artiste pleine de sensibilité et candide. Suite à un choc, cet homme d'affaire ne se souvenait de rien. Luiza va avoir cette même déconvenue. Elle va suivre cet homme comme s'il s'agissait d'une bouée de sauvetage, un scientifique accompli plus âgé qu'elle. Un choc de formations qui ne sera pas sans risques pour elle.
- Vous vous êtes inspiré de ce téléfilm pour le fond. Et pour la forme?
- Pour la forme, c'est peut-être le livre dont j'ai parlé dans l'article "La clé de psi ψ" qui mêlait la fiction avec des réalités scientifiquement prouvées. J'ai donné son prénom, José, à mon nouvel héros de l'histoire.
- Allez-vous vous introduire dans la peau d'un des personnages de l'histoire et parler à la première personne?
- J'ai beaucoup hésité à le faire à utiliser le mot "je". Puis, j'ai découvert que c'était plus facile de faire partie de l'histoire en ne répétant pas "José a dit", "Luiza a fait". Non, je n'étais ni l'un ni l'autre. Je n'ai pas les qualifications du personnage, "José", ni les sentiments de Luiza. J'ai dû me documenter au sujet de certains passages plus scientifiques. Le "je" va changer de tête dans l'histoire. Chacun parlera, à son tour, en son propre nom. Ne vous inquiété pas, à certains moments, je prendrai la parole comme spectateur ou comme observateur. Je reste maître à bord de mon histoire (rire).
- Vous ne lui avez pas donné un peu de vous à ce personnage de "José"?
- Si, bien sûr, un peu. Je connais mes travers et mes points forts. Je connais ce que peut être le choc des psychologies que l'on peut rencontrer dans la vie. Il s'agit d'ailleurs plus d'une analyse psychologique de personnages que d'une visite touristique avec descriptif annexé. Le décor prendra moins de place que dans mon premier volume. Comme je le disais en préambule du premier tome, une éternité n'est-elle pas faite de coïncidences et d'anecdotes qui prennent le temps qu'elles veulent? (rires) Mais le temps, l'âge aidant, il se fait que les conceptions changent. Pas de mots portugais, si ce n'est ceux-ci "Tudo bem". Des mots magiques, en définitive.
Bonne lecture...